Planche 25 : ambiance tamisée, couleur sépia, Lakaf entre dans l’appartement de ses parents en leur absence (case 1). Le désordre habituel, papiers qui traînent, saletés, mégots de cigarette, et 2 références aux valeurs de ses parents : la photo du « Ché » à droite, et les mantras tibétains à gauche.
Case 2 : gros plan sur une photographie, qui annule l’effet de distance de la case 1 et nous plonge dans le passé. C’est l’oeil du lecteur qui zoome, par rapport au plan de la case 1. Grande proximité entre Lakaf enfant et son père, par opposition à leur dispute d’adulte et leur désaccord idéologique dans les pages 6-7. Cette photo dément en partie le discours négatif de Lakaf sur son éducation. Effet émotionnel de l’enchaînement.
Case 3 : qui regarde qui ? Que regarde Lakaf ? Et d’où est-il vu ?
Lakaf s’est avancé dans la pièce. Il tourne le dos à la cuisine au fond à droite, où se trouve le gâteau d’anniversaire de son père, qu’il ne remarque même pas. Il regarde vers nous, mais que regarde-t-il ? Le portrait du « Ché », symbole du gouffre idéologique et générationnel qui le sépare de ses parents. D’où son air triste, comme s’il avait honte de cette image.
Mais soudain le rapport s’inverse : de son côté le lecteur voit la scène à travers l’oeil du « Ché », et voit donc Lakaf en son ignorance, qui tourne le dos à l’indice d’un drame : le départ précipité et inexpliqué des parents, en plein anniversaire. Sur la plan moral, c’est Lakaf à cet instant qui peut apparaître honteux, car il ne se doute même pas que son père a eu une crise cardiaque.
Case 4 : effet de champ-contre-champ. Lakaf est vu désormais depuis la cuisine, avec les bougies du gâteau au premier plan. Il ne les voit même pas, tourné vers le chat qui dort sur le canapé. Cet indice (la table qui n’est même pas débarassée, le gâteau encore là) prouve qu’il s’est passé quelque chose de grave.
Case 5 : effet de zoom avec le même angle de vue. Le chat fuit l’affection et la proximité de Lakaf et se dirige vers la gauche.
Case 6 : effet de champ-contre champ par rapport à la case 1. Le chat s’approche de la télévision, ce qui conduit Lakaf à actionner la télécommande.
Case 7 : gros plan sur l’écran de télévision, montrant l’image muette d’un enfant africain souffrant de la faim. Parallélisme et opposition de cette l’image avec la case 2, représentant l’image d’une enfance heureuse, celle de Lakaf. Cet effet d’opposition disqualifie un peu plus Lakaf quant à ses plaintes sur son enfance.
Cases 8-9-10 : disqualification de Lakaf quant à ses actes. Ce sont ses opérations de trading, qui ont provoqué la famine dans les pays du tiers monde.
Case 10 : gros plan sur le visage de Lakaf qui reçoit de plein fouet ces informations et comprend sa part de responsabilité dans cette tragédie de la faim.
Planche 26 : La télévision insiste sur le drame de la faim (cases 1-2)
Case 3 : Lakaf étouffe, il fuit la télé et veut ouvrir la fenêtre pour changer de réalité.
Case 4 : celle-ci le rattrape en la personne de ses parents, qu’il découvre sur le trottoir, de retour de l’hôpital.
Case 5 : effet de fuite de Lakaf , dans une diagonale inverse à celle de la case 3, dans une ambiance plus claire, maintenant qu’il a ouvert les rideaux, et que la lumière sur la vérité se fait jour. Il a honte de lui et ne veut pas affronter ses parents, alors qu’il était venu les voir pour leur annoncer sa réussite professionnelle.
Cases 6-7 : les parents au rez-de -chaussée prennent l’ascenseur (case 6), puis arrivent à leur étage (case 7). Lakaf a juste eu le temps de quitter l’appartement. Il les observe honteux en contrebas, en se tenant à la rampe, comme s’il allait avoir un malaise (par opposition au père qui s’est maintenant remis de son malaise cardiaque).
Case 8 : le père se dirige vers la porte de l’appartement sans savoir qu’il tourne le dos à son fils caché plus bas.
Case 9 : plan similaire à la case 1 de la planche 25, mais cette fois-ci c’est la mère qui entre et non Lakaf. Elle devine que son fils est venu.
Case 10 : enfer moral de Lakaf, qui a honte de lui-même : dans son égoïsme, il a causé un désastre humanitaire et n’a même pas été là pour assister ses parents dans leur épreuve. Fuite éperdue de lui-même dans une diagonale vers la droite qui prolonge celle de la case 5. Pastiche du célèbre tableau « Le cri » d’Edvard Munch (1893).